15/04/2020

Halfquake Trilogy (la recommandation du mercredi)

Parfois ça fait du bien de se faire un peu traîner dans la boue.


Halfquake Trilogy est une compilation de trois mods de Half-Life: Halfquake (2001), Halfquake Amen (2002) et Halfquake Sunrise (2010), créés par Philipp Lehner (alias Muddasheep). Mieux vaut le dire tout de suite, il est nécessaire de posséder Half-Life pour pouvoir y jouer. Il est aussi très fortement recommandé d'avoir déjà joué à Half-Life (et d'avoir passé son CAP en crouch-jumping). Halfquake n'est certainement pas le jeu le plus accessible de tous, pour de nombreuses autres raisons qui deviendront vite apparentes.

"You are nothing We are everything"
Je ne sais pas comment je suis arrivé là. Je ne me souviens de rien. Ai-je été capturé? Quel est cet endroit? Je veux sortir d'ici. Je veux revoir ma famille. Ces voix narquoises qui se moquent de moi... Ils sont responsables... Ils disent qu'il n'y a pas d'issue. Pas d'espoir. Ils mentent! Il faut qu'ils mentent! Je ne mourrai pas ici je ne mourrai pas comme ça! C'est impossible! Je trouverai la sortie, il le faut!

Piégé au cœur d'un tombeau sans fin. Reverrais-je jamais la lueur du jour? Je suis fait comme un rat. Les ténèbres m'enveloppent. L'espoir m'abandonne.



Halfquake est un piège, une succession interminable de traquenards spécifiquement façonnés pour nous faire tourner en bourrique, pour garantir une dose satisfaisante de délicieuse souffrance, et de précieuse frustration. Dans cet étrange précurseur de Portal, vous n'êtes rien de plus qu'un rat de laboratoire, destiné à mourir de manière plus ou moins pitoyable en tentant vainement de surmonter les divers obstacles pervers confectionnés avec soin par de mystérieux architectes aussi sadiques qu'insupportables, qui ne se lassent pas de vous ridiculiser à chaque tournant. Pourquoi tant de souffrance? Pourquoi tant de haine? Pour rien. Pour le plaisir. Par ennui. Allez savoir.

Vous pensez pouvoir vous échapper de leur donjon et leur rendre la monnaie de leur pièce? Vous pouvez certainement essayer, ils y tiennent, mais le message est clair depuis le début: seule la mort vous attend. Nul triomphe au bout du chemin, nulle liberté à conquérir, personne à sauver. Pas d'héroïsme passé cette ligne, vous n'êtes que victime. Halfquake ne se pliera pas en quatre pour flatter votre ego, et ne se fatiguera pas à vous faire miroiter une quelconque carotte. Halfquake n'a que son sadisme à offrir. Vous pouvez choisir d'abandonner tout de suite, ou de vous débattre le plus possible pour prolonger la souffrance.

Sachez juste que tous les coups sont permis.


Il est difficile d'expliquer comment fonctionne Halfquake sans raconter chaque piège en détail, les uns après les autres. De manière méthodique et scrupuleuse, les trois jeux se moquent de nos attentes et prennent un malin plaisir à nous déboussoler constamment. Peut-être que cet esprit à la fois farceur et rebelle constitue le véritable héritage tiré de Quake et des autres titres légendaires créés par les ptits rigolos d'id Software. La différence étant que, débarrassé de toute ambition commerciale et assumant sa philosophie jusqu'au bout, Muddasheep se donne le droit de nous plonger dans d'horribles pétrins que Sandy Petersen lui-même n'oserait jamais nous infliger. Dans cet enfer, tout est possible, en particulier ce qui devait être interdit, ce qui semblait inconcevable. Les lois du "bon" game design sont joyeusement bafouées à chaque virage. Oui, on va vous demander de répéter la même séquence plusieurs fois d'affilée. Oui, on va vous plonger dans le noir sans le moindre élément visuel pour vous guider. L'un des pièges les plus détestés de la trilogie entière consiste à... nous demander d'attendre 20 minutes. Sans rien faire. Attendre qu'un train arrive. On peut tourner en rond si on veut.


Mais Halfquake ne se résume pas à contredire les conventions les plus fondamentales. Il s'agit surtout de s'en affranchir, et d'explorer ce qui ne pourrait exister si on se contentait d'obéir au bon sens. Il y a énormément d'imagination et d'inventivité qui s'exprime dans ces traquenards retords, et énormément de plaisir à voir ce que nos bourreaux nous réservent. Impossible de prédire ce que le défi suivant nous offrira, on tombe de surprise en surprise, pour se retrouver catapulté-e dans une machinerie qu'il serait impensable de voir ailleurs. Le sadisme de Halfquake n'est pas sans humour, et j'ai éclaté de rire plus d'une fois, "non mais vous êtes SÉRIEUX???". Les obstacles m'ayant fait hurler, je m'en souviens avec nostalgie. C'est, sans la moindre honte, du foutage de gueule. Et si vous pouvez endosser le rôle de la victime, sachez qu'Halfquake vous réserve des trésors à la mesure de votre peine.


Après tout, quel autre jeu peut m'offrir une telle expérience? Forteresse de souffrance, créée de toute pièce pour éprouver ma chair et mon âme, pour me surprendre à tout prix et me plonger de force dans des situations incroyables, je parcours ton architecture tortueuse, emplie d'admiration devant ta pureté noire. Montre-moi ce qui ne peut exister nulle part ailleurs, montre moi un monde que seul toi peut créer. Donjon de malheur, chaque brique et chaque polygone me crachant ton venin au visage, j'accepte tout ce que tu me réserves. Traîne-moi dans la boue, sur trois kilomètres, frappe-moi et ridiculise-moi autant que tu le souhaites, je n'attends que ça, je l'exige de toi.

Car la vraie blague est bien là: tout ça n'est qu'un jeu. Ta forteresse existe pour me faire mal, mais je décide si je la laisse faire. Ni mensonge ni tromperie: tu ne m'as pas piégée, je suis venue de plein gré, me perdre entre tes griffes (et j'en ai profité).

Mon avatar n'a pas cette chance, pauvre de lui. Perdu à jamais dans ce monde aux milles tortures, son existence en tout point contrôlée par des tyrans qui le méprisent et renient son humanité. Misérable vie de pantin, j'aimerais lui accorder mon pouvoir. Le pouvoir de dire Non, le pouvoir de refuser, le pouvoir d'être respectée, de souffrir par choix, de souffrir pour jouer. Je ne peux que le plaindre.

Puissent les tyrans subir la souffrance qu'ils infligent.


L'espoir est un luxe, qu'il est certainement difficile de garder. Fort heureusement, je n'ai nul besoin de lui pour continuer d'avancer. Je me contenterai de fredonner ces paroles entêtantes, dont la certitude implacable sonne comme une promesse rassurante...

"This is Halfquake, you are here to di~ie!
This is your last days, even if yoooouuuuu cryyyyyyyyy!
La laaa, la la lalala lala laaaaa..."

À la semaine prochaine!
Cassie

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