25/04/2021

PLEASE NERF THE TERF

Hello les gens!

    Pendant que je travaillais sur mon dernier projet, j'avais farfouillé un peu sur divers sites plus ou moins douteux afin de dénicher quelques minerais de transphobie pure, ce qui est une manière très saine de passer le temps, vous en conviendrez. Je n'ai pas eu besoin de chercher bien loin remarque. Je pensais utiliser des citations dans mon zine, mais vous aurez constaté que l'idée est passée à la trappe. D'un côté, je considère que mon zine est une réponse suffisante à leurs sornettes, d'un autre j'ai quand même découvert de belles perles, et je me suis dit que ce serait dommage de ne pas leur rendre justice d'une manière ou d'une autre. Alors va pour un article. Ou série d'articles, parce que j'aurais dû prévoir que les choses allaient déborder, ha!

    Aujourd'hui je vous propose donc une visite guidée de Transphobeland™! Avec en invité-e-s d'honneur les TERFs, une poignée de chrétien-ne-s et des journalistes peu scrupuleux-ses! Amenez vos ami-e-s ça va être chouette! Cette série ne sera pas une analyse approfondie et exhaustive de la transphobie sous toutes ses formes, car si je voulais plonger jusqu'au cœur de la bête et raconter le trajet en détail j'en aurais pour plusieurs livres. J'essayerai plutôt ici de dénicher les rhétoriques qui se répètent dans la poignée d'articles sélectionnés, les points communs entre les différents discours transphobes, de vous les expliquer du mieux que je le peux et d'en révéler les idées sous-jacentes. Ce sera peut-être l'occasion d'en apprendre un peu plus sur le fonctionnement de toute cette merde, et de cracher dessus au passage (pour la forme). Je vous promets d'abuser de l'autonomie offerte par ce blog pour être aussi détestable que nécessaire, et je vous invite à m'accompagner! Soyons des petites pestes ensembles, face à quiconque ose nous projeter sa merde au visage sous couvert d'être "civil" et "raisonnable"!


Quelques précisions avant de commencer:

    Pour les trois ou quatre personnes qui pourraient tomber ici sans me connaître, je suis une femme trans non-binaire (en résumé). Donc oui je suis directement impliquée dans l'affaire et non je n'aurai pas un point de vue neutre et distancié sur la question. Je ferai de mon mieux pour m'expliquer clairement, mais on parle ici de gens qui souhaitent ouvertement me faire disparaître. La neutralité face aux transphobes n'est pas une option acceptable. Parce que bordel.

    Autre détail, lorsque je parle de transphobes dans ces articles, je ne veux pas parler des formes de transphobie les plus courantes et passives, des micro-agressions ou de l'ignorance généralisée concernant notre existence. Je veux parler des personnes qui nous voient comme leurs ennemi-e-s, des personnes qui ont décidé de mener un combat contre nous, qu'elles soient seules ou organisées, peu importe l'identité ou le drapeau qu'elles revendiquent. La transphobie, comme toute autre forme d'oppression, a plusieurs visages, et les mots nous manquent encore lorsqu'il s'agit d'exprimer clairement ces distinctions. En revanche vous verrez bien vite, je l'espère, les fils rouges qui les lient.

    Dernier point avant qu'on commence pour de bon, qu'il est extrêmement important de comprendre: les transphobes mentent. Délibérément. La mauvaise foi est leur uniforme. Ces personnes n'ont pas étudié la question de la transidentité avec sérieux avant d'arriver à leurs conclusions. Elles nous haïssent d'abord, avant toute autre considération, et vont raconter tout ce qui leur chante pour rationnaliser cette haine, pour justifier les violences faites contre nous. Elles vont mentir, se contredire, cacher leurs intentions, camoufler l'information, inventer les exemples dont elles ont besoin, tout ce qui peut leur servir. Les transphobes comptent sur votre ignorance et votre complaisance, et alimentent votre paranoïa. Iels vous manipulent émotionnellement pour vous empêcher d'examiner critiquement leurs conneries. Iels misent sur le fait que vous ne nous connaissez pas, que vous ne ferez pas l'effort d'analyser en profondeur leurs discours, que vous n'essayerez pas de nous écouter et nous comprendre. C'est à vous de leur donner tort. Si vous faites l'effort d'aller à notre rencontre, de nous considérer comme des êtres humains, comme des individus à part entière, si vous écoutez sincèrement ce qu'on a à dire et prenez la peine de vérifier et questionner les infos par vous-mêmes, les mythes fabriqués par les transphobes s'effondreront d'eux-mêmes.

Mais il est nécessaire de nous regarder dans les yeux.



les sept premiers résultats en cherchant "idéologie trans",
notez la présence d'un blog publié sur Médiapart


Bien. C'est parti!

    La première chose à dire, c'est que ça ne m'a pris qu'environ cinq minutes pour dénicher tous les articles dont je vais parler ici, et bien d'autres encore, que j'ai préféré laisser mariner dans leur propre crasse. Tout simplement parce que les transphobes, ainsi que les journalistes qui les relaient, sont friand-e-s de certains mots-clés, qu'au contraire les personnes trans elles-mêmes vont rarement utiliser, et en général uniquement pour les démentir. L'idéologie transgenre, les lobbies trans, les transactivistes, l'agenda trans, etc etc. Je tape n'importe lequel dans ma barre de recherche et les pires horreurs sont à portée de main. Ça marche en anglais comme en français, c'est bien pratique. Autant d'expressions sorties du cul d'on-ne-sait-qui, qui ont toutes pour point commun de nous mettre dans la tête que toutes les personnes trans sont les mêmes, un unique groupe qui agit dans un but commun, mais caché, un groupe qui serait le fruit d'une idéologie spécifique. Je ne peux répondre qu'avec le sérieux que ces déclarations exigent:

lol.

Aux dernières nouvelles les trans sont des gens. Nous possédons donc la capacité de vivre des expériences diverses et avoir des avis différents (et même être en désaccord waow). Niveau idéologie vous pouvez trouver des personnes trans de tous bords, cocos, anars (salut!), libérales, """apolitiques""", conservatrices, fachos... Vous pouvez même trouver sans trop de peine des trans transphobes, ce qui est toujours extrêmement pathétique à voir, mais bon.

Remarquez tout de même que rien qu'avec leur vocabulaire les transphobes sous-entendent déjà l'idée que notre existence n'est qu'une sorte de complot. Nous sommes les "transactivistes", on travaille tou-te-s ensembles, on est de mèche, on a un plan et on sert une idéologie unique, "l'idéologie transgenre". Mais rien de malhonnête ou de biaisé dans ces choix lexicaux bien sûr. En tout cas ça vous laisse présager de la suite.

    L'autre avantage d'utiliser un lexique exclusif pour parler d'un tel sujet, c'est que même les personnes qui souhaitent sincèrement en savoir plus sur la question vont commencer à chercher les termes que les transphobes emploient, et ainsi être exposées avant tout aux discours transphobes plutôt qu'à la parole des personnes trans directement. Le fait que les transphobes ont beaucoup plus de présence médiatique que nous leur donne un énorme avantage sur ce point, qu'iels exploitent avec entrain. Il est très, très rare que des journalistes laissent la parole à des personnes trans pour discuter de leurs expériences, à moins qu'elles ne soient déjà célèbres. En revanche, on laisse toujours la parole aux personnes cis qui parlent à notre place, ou à celles qui prétendent savoir mais racontent ce qui leur chante, profitant de l'ignorance (ou de la complicité) de celleux qui leur tendent le micro.

    Ce qu'il est aussi extrêmement important de comprendre, c'est que le simple fait de donner la parole aux transphobes pour exprimer leurs "doutes" et leurs "inquiétudes" donne à leurs arguments une légitimité qu'ils ne méritent en aucun cas. Diriger le projecteur vers celleux qui se demandent si on a le droit d'exister, c'est implicitement dire que la question a le mérite d'être posée. Prendre leurs conneries au sérieux c'est déjà leur accorder beaucoup trop d'influence.

Bon. Premier arrêt:


TERF à la française sur son lit de mesquinerie

    Qu'est-ce qu'un-e TERF? L'acronyme TERF (pour Trans Exclusionary Radical Feminist) désigne les personnes qui se prétendent féministes mais, curieusement, passent le plus clair de leur temps à cracher sur les trans. Il est tout à fait possible que ces personnes aient sincèrement participé à la lutte féministe et aient même milité pour des causes importantes (contre les féminicides, pour le droit à l'avortement...). Il est tout aussi probable qu'il s'agisse de personnes qui se réapproprient le langage féministe pour masquer leurs intentions (attaquer les queers, notamment). Les TERFs sont souvent assez organisé-e-s, ont gagné énormément d'influence en Angleterre, et font de leur mieux pour s'exporter en France.

    Marguerite Stern en est un très bon exemple. La photo ci-dessus ainsi que sa citation sont tirées de cet article de Libération, publié en février 2020. Je noterai juste au passage, à propos de cette citation, que "c'est juste une opinion comme les autres et j'ai le droit de l'avoir" est une défense souvent utilisée par les fachos (quand iels savent qu'iels sont en train de dire un truc ignoble), mais bien évidemment ce n'est que pure coïncidence. Dès cet article, on remarque que ses propos sont beaucoup relayés mais que toute réfutation reste beaucoup trop timide. Pourtant Stern nous sort déjà les classiques, je cite:

"Elle évoquait la place du transactivisme et de ses débats au sein du féminisme qui, selon elle, «prennent de plus en plus de place dans le féminisme, et cristallisent même toute l'attention». Jusqu'à affirmer : «J'interprète ça comme une nouvelle tentative masculine pour empêcher les femmes de s'exprimer.» [...] A propos des personnes trans, Marguerite Stern déclarait : «Elles viennent coloniser le débat féministe en ramenant tout à elles.»"

    Alors. Le coup de "les femmes trans sont des hommes qui essayent de s'infiltrer dans les espaces féminins" c'est LA BASE™ de la rhétorique TERF. Ça marche bien parce qu'elle utilise ici un préjugé très généralisé ("les femmes trans ne sont pas vraaaaaiment des femmes") mais y glisse un tout autre niveau mesquin, en bonus. Elle dit clairement qu'on a des intentions sournoises, un plan derrière la tête. Ça colle très bien avec le point de vue essentialiste selon lequel les hommes seraient "de nature" des oppresseurs et des pervers violents (genre l'oppression est stockée dans les couilles ou je sais pas quelle connerie). Ce qui ne rime à rien et ignore l'existence du réel problème qui est le patriarcat mais bref. Les femmes trans sont des hommes, et les hommes sont des pervers par nature, donc les femmes trans ont sans doute un motif ultérieur, c'est un stratagème pour étendre leur oppression jusque dans le féminisme, pour réduire les femmes au silence. Bien joué, emballé c'est pesé.

Je suis un mec, et le plan le plus efficace que j'ai trouvé pour faire chier des meufs, les harceler et saboter leurs assos c'est de changer mon nom, prendre des médocs qui vont faire pousser mes seins, m'épiler la barbe au laser, et essayer de persuader tou-te-s mes proches que j'étais une femme. Easy.

Excusez-moi Madame Stern mais on vit dans quelle dimension là?

Si on passe plus d'une seconde à imaginer ce scénario ça semble être l'histoire la plus absurde de l'univers, et pourtant c'est l'argument de base d'une bonne partie de la rhétorique transphobe. Du sport aux toilettes publiques, c'est essentiellement la même rengaine. Ça incite immédiatement à la méfiance et à la crainte, et donc, implicitement, à se défendre face à la menace ("je n'appelle pas à la haine" mon cul). Ça touche les gens émotionnellement, c'est une idée qui s'accroche et perdure, et pourtant c'est du vent, ça repose sur rien de concret.

    Les femmes trans n'essayent pas d'infiltrer les milieux féminins. Au contraire bon nombre d'entre nous ont peur de rejoindre des groupes constitués de personnes cis, peur d'être rejetées ou de se faire agresser. Par ses propos, Stern essaye délibérément de rendre les milieux féministes plus hostiles envers nous. Mais pour nous exclure elle est obligée de ramener le féminisme à une simple lutte entre les hommes et les femmes, deux genres déterminés par deux organes génitaux et rien d'autre. Obligée de ramener la femme à la vulve.

"Nous sommes des femmes car nous avons des vulves. C'est un fait biologique." qu'elle dit cette patate.

C'est plus qu'ignorer l'existence du patriarcat, c'est défendre et affirmer ses valeurs, que le féminisme est sensé contrer. Pour exclure les personnes trans, elle est contrainte de renier le féminisme. Avant qu'on me le reproche: non je ne nie pas le fait que la question du corps joue un rôle primordial dans l'oppression des femmes et la manière dont celle-ci s'est construite. Ce que je dis, c'est justement que rabaisser les êtres humains à leurs organes génitaux et leur capacité (ou incapacité) à procréer, ainsi que diviser la population en seulement deux catégories absolueshermétiques et opposées, en dépit de toute réalité, c'est un élément clé de l'oppression contre laquelle nous essayons de nous battre, ça fait partie de la violence infligée par le patriarcat, et défendre ces valeurs est incompatible avec le féminisme tel que je le conçois, le féminisme qui a pour but de tou-te-s nous libérer de ce système d'oppression. Mais je suis sûre qu'on aura l'occasion de reparler de tout ça.

    Notez au passage l'appel au pouvoir de la Scionce™ avec le "c'est un fait biologique". C'est-à-dire bien sûr la biologie niveau CP, débarrassée de toute nuance ou complication pouvant être amenée par des questionnements ultérieurs (comme les trois articles cités dans le paragraphe précédent par exemple). La Scionce™ comme appel au bon sens que tout le monde partage, à ce qui semble naturel, à la version simplifiée du monde qu'on nous a apprise enfants, pas la science en tant que processus d'interrogation du réel et méthode de production de savoirs. Surtout pas cette science-là. Remarquez aussi que dans ces propos Stern ne mentionne pas l'existence des mecs trans, sans même parler des personnes non-binaires. Il est vrai que les transphobes se concentrent généralement sur les meufs trans (entre autres parce que c'est ce qui convient le mieux à leur récit), et se risquent plus rarement à mentionner les autres possibilités. Notez enfin qu'on pointe un doigt terriblement accusateur sur les meufs trans... qui n'ont encore rien fait. Notre seule présence dans les mouvements féministes, voire même le simple fait qu'on nous mentionne, est déjà un acte pervers, une transgression.

Notre simple existence, est un acte de violence.

Et dernier point avant de vous relâcher, parce qu'on va quand même pas laisser la Stern passer ça sans rien dire (n'est-ce pas Libération?): l'utilisation ici du mot "coloniser" est tout de même lourde de sens. Ni anodin ni innocent, le choix de ce terme extrêmement violent constitue une accusation très grave à notre égard (dont elle se dédouane d'avance en disant que ce n'est que son "interprétation", c'est juste une opinion normale). Ça renforce encore l'idée que notre simple présence constitue un grand péril, contre lequel il est impératif de se défendre. On remarque à nouveau un parallèle (tout à fait accidentellement fortuit) avec les discours fascistes, qui accusent régulièrement telle ou telle minorité de nous """"coloniser""""". Apparemment le simple fait d'exister à un endroit donné suffit à le """""coloniser""""" c'est marrant ça quand même. Je le répète: ces discours ont toujours pour but d'inciter à la violence contre les minorités accusées.


    Bon. On pourra dire ce qu'on veut de la Stern, elle a au moins le ""mérite"" d'être concise et efficace. En quelques phrases seulement elle affirme ses positions et rend ses idées faciles à partager, à diffuser. Tu lui passes le mégaphone pendant une fraction de seconde et elle a déjà projeté son vomi sur toutes les personnes à sa portée. C'est pour ça qu'on leur passe pas le mégaphone en fait, surtout pas sans protection adéquate (n'est-ce pas Libération?). Enfin. Laissons-la de côté pour le moment.

    Vous devriez maintenant avoir une petite idée de ce à quoi ressemblent les marécages qui nous attendent, mais ce n'était jusqu'ici qu'une mise en bouche. Je vous préviens: notre prochaine étape sera bien plus éprouvante! On va nous envoyer la plupart des arguments anti-trans d'un coup, donc inutile de vous dire qu'on va avoir du pain sur la planche!

Mais d'ici là, profitez-en pour souffler un peu, et prenez soin de vous!

À très bientôt!
Cass

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